Le Cas’Nard

Journal de Bernard Martial

© Bernard MARTIAL – août 2014


LE DISCOURS D’UN ROI (The King’s speech), film britannique de 2010

samedi 14 janvier 2012, par Bernard MARTIAL

Toutes les versions de cet article :

  • français

31 octobre 1925, le Prince Albert Frederick Arthur George monte à la tribune du stade de Wembley pour prononcer le discours de clôture de l’Exposition Impériale retransmis à la BBC… comme on monte à l’échafaud ! Devant le public gêné, le duc d’York bute, achoppe, trébuche sur les mots et les phrases qui restent bloqués dans sa gorge. Depuis l’âge de cinq ans, le prince est bègue et il ne supporte plus les traitements ridicules et démosthéniens de ses médecins qui lui conseillent de fumer beaucoup et de d’essayer de parler avec des billes dans la bouche. Un jour, la Princesse Elizabeth, sa femme, se présente sous le nom de Mrs Johnson, au cabinet de Lionel Logue, un logothérapeute installé à Harley Street, dans un quartier pauvre. Elle parvient à le convaincre de s’occuper de son mari mais celui-ci doit venir au cabinet. Les premiers contacts entre cet obscur praticien australien irrévérencieux à l’humour caustique et aux principes intangibles et ce prince irascible et pessimiste sont difficiles. Quand l’orthophoniste lui fait enregistrer sur un disque un texte de Shakespeare alors qu’il a de la musique plein les oreilles, le Prince s’en va, découragé. Et il l’est encore plus le jour où son père, le roi George V, lui demande de lire son discours de Noël 1934. Pourtant Bertie désemparé écoute le disque et décide de prendre aux sérieux les méthodes peu orthodoxes de celui qui persiste à demander qu’on l’appelle Lionel. Le 20 janvier 1936, George V meurt et David son fils aîné devient roi. Mais au 10 Downing Street, le Premier Ministre Stanley Baldwin s’inquiète de la relation que le nouveau monarque entretient avec Wallis Warfield Simpson une Américaine deux fois divorcée. Le 11 décembre 1936, Edouard VIII cède à la pression et abdique en faveur du Prince Albert qui doit être couronné à l’abbaye de Westminster sous le nom de George VI. Pour préparer son discours, le nouveau roi reprend contact avec Lionel Logue avec lequel il avait rompu une nouvelle fois et il lui conserve désormais sa confiance, au grand dam de l’archevêque de Canterbury, même quand une enquête révèle qu’il n’a aucun diplôme. Ensemble, ils affronteront une autre épreuve décisive : le discours que le roi doit adresser au royaume et à l’empire britannique après l’entrée en guerre de la Grande-Bretagne, le 3 septembre 1939. Un discours émouvant et presque parfait lui dit sa fille Elizabeth « il fallait bien que je trébuche une ou deux fois pour qu’ils me reconnaissent » dit le roi avec humour avant de saluer la foule au balcon de Buckingham Palace.

Sujet fort improbable que celui d’un futur roi d’Angleterre apprenant à corriger son défaut d’élocution chez un spécialiste du langage ! C’est d’abord le projet longuement mûri du scénariste David Seidler, un juif anglais qui était venu s’installer aux Etats-Unis dès le début de la Seconde Guerre mondiale et qui, étant un ancien bègue lui-même, s’était intéressé à l’histoire de ce monarque obligé de s’exprimer en public et de son orthophoniste avec lequel il resta ami jusqu’à sa mort en 1952. Or, comme le dit George V dans le film, jusque là les rois n’avaient besoin que de se présenter en uniforme pour imposer leur pouvoir. Le microphone a tout changé et la TSF est la boîte de Pandore. On ne peut pas encore faire des montages, il faut parler d’une traite et en direct. Pour celui qui ne s’attendait même pas à être roi et qui souffre de ce lourd handicap d’élocution, le défi est lourd à relever d’autant qu’à Berlin, Adolf Hitler a fait de sa voix sa première arme de conquête. Face aux harangues éructantes des tyrannies naissantes, la voix de la liberté ne peut trembler. Mais pour parvenir à trouver cette parole, le Prince délaissé par un père autoritaire, une mère distante et un frère moqueur, traumatisé par des nounous, par la mort d’un jeune frère épileptique, torturé par une gaucherie contrarié et des contraintes aux genoux, doit d’abord trouver sa voie et apprendre à être lui-même. Grâce à l’obstination de sa femme et aux pratiques peu conventionnelles de Logue, la chenille Bertie se transforme en papillon royal et les mots brisent peu à peu la chrysalide du blocage physiologique et psychologique. « Que vous soyez puissant ou misérable, l’essentiel est d’abord que vous triomphiez de vous-même » nous dit cette fable émouvante et drôle où l’on retient sa respiration entre chaque hésitation de ce pauvre prince en susurrant « pourvu qu’il y arrive » comme devant un enfant qui fait ses premiers pas.

Vainqueurs de 4 Oscars (meilleur film, meilleur réalisateur pour Tom Hooper, meilleur acteur pour Colin Firth, meilleur scénario original pour David Seidler), d’un Golden Globe (pour Colin Firth) et d’une quantité impressionnante d’autres prix, ce film à rebours de toutes les superproductions hollywoodiennes avec effets spéciaux en 3D et images numériques est la bonne surprise de ce début d’année 2011. A la fois réflexion sur le pouvoir de la parole et sur la parole du pouvoir, le Discours d’un roi est aussi l’histoire d’une rencontre entre deux hommes que tout oppose. L’acteur raté, le fils de brasseur, l’émigré de la lointaine colonie australienne qui réapprenait à vivre aux soldats tétanisés par la guerre devient le gourou de cet aristocrate coincé et hautain, deux rôles en or servis par les remarquables interprétations de Colin Firth et de Geoffrey Rush qui jouent un magnifique duo sur toute la gamme de la communication gestuelle, physique, morale, intellectuelle et verbale dans une mise en scène sobre et efficace qui sait jouer de la résonance entre le drame intime et les enjeux politiques et sociaux. Loin des excès des tabloïds anglais qui se repaissent des histoires de la famille des Windsor, ce biopic est certes d’une facture très classique et d’une morale passablement édifiante mais il plaît comme ces œuvres cent fois relues, il émeut comme ces batailles parfois gagnées et il attache de cette combinaison si british entre un humour subtil et déjanté et une élégance à la fois totalement conformiste et follement libre.


RSS 2.0 [?]

Espace privé

Site réalisé avec SPIP
Squelettes GPL Lebanon 1.9