Le Cas’Nard

Journal de Bernard Martial

© Bernard MARTIAL – août 2014


Le rêve en poésie I

Programme BTS 2013-2015 : "Cette part de rêve que chacun porte en soi."

jeudi 14 mars 2013, par Bernard MARTIAL

Toutes les versions de cet article :

  • français

LE RÊVE en poésie I

Recueil de textes établi par Bernard MARTIAL, professeur de Culture générale et expression en BTS et de Lettres-Philosophie en CPGE scientifiques.

*

1. « Les questions », Antoine-Vincent Arnault (1766-1834), Poésies mêlées, 1826.
2. « À quelqu’un qui me réveillait », Antoine-Vincent Arnault (1766-1834), Poésies mêlées, 1826.
3. « Sonnet à mon ami R. », Félix Arvers (1806-1850), Mes heures perdues.
4. « Rêves », Victor Hugo Victor Hugo, Odes et Ballades, 1827, Livre cinquième-1818-1828, Ode XXV.
5. « Rêverie » de Victor Hugo, Les Orientales, 1829, XXXVI.
6. « La pente de la rêverie », Victor Hugo, Les Feuilles d’automne, 1831, XXIX.
7. « Booz endormi », Victor Hugo, La Légende des siècles, Première série, 1859, I- D’Ève à Jésus, VI.
8. « Post-scriptum des rêves », Victor Hugo (1802-1885), Les chansons des rues et des bois, 1865.
9. « Le clair de lune », Aloysius Bertrand (1807-1841), Gaspard de la nuit, Livre III, V, 1842.
10. « Un rêve », Aloysius Bertrand (1807-1841), Gaspard de la nuit, Livre III, VII, 1842.
11. « La beauté », Charles Baudelaire (1821-1867), Les Fleurs du Mal, « Spleen et Idéal », 1857, XVII - 1861, XVII.
12. « Parfum exotique », Charles Baudelaire (1821-1867), Les Fleurs du Mal, « Spleen et Idéal », 1857, XXI - 1861, XXII.
13. « La chevelure », Charles Baudelaire (1821-1867), Les Fleurs du Mal, 1861, « Spleen et Idéal », XXIII.
14. « Les ténèbres », Charles Baudelaire (1821-1867), Les Fleurs du Mal, 1861, « Spleen et Idéal », XXXVIII.
15. « La vie antérieure », Charles Baudelaire (1821-1867), Les Fleurs du Mal, 1861, « Spleen et Idéal », XII.
16. « Le rêve d’un curieux », Charles Baudelaire (1821-1867), Les Fleurs du Mal, 1861, « Spleen et Idéal », CXXV.
17. « Marine », André Lemoyne (1822-1907), Les charmeuses, 1864.
18. « Rêve d’oiseau », André Lemoyne (1822-1907), Chansons des nids et des berceaux, 1896.
19. « Ici-bas », René-François Sully Prudhomme (1839-1907), Stances et poèmes, 1865.
20. « Fin du rêve », René-François Sully Prudhomme (1839-1907), Les épreuves, 1866.
21. « En voyage », René-François Sully Prudhomme (1839-1907), Les vaines tendresses, 1875.
22. « Mon rêve familier », Paul Verlaine (1844-1896), Poèmes saturniens- « Mélancholia » VI, 1866. 23. « Ballade en rêve », Paul Verlaine (1844-1896), Amour, 1885.
24. « La Bibliothèque », Maurice Rollinat (1842-1908), Les Névroses, « Les spectres » V, « La bibliothèque », 1883.
25. « Possession », Charles Cros (1842-1888), Le coffret de santal, 1873.
26. « Au café », Charles Cros (1842-1888), Le collier de griffes (posthume, 1908).
27. « Rêve », Charles Cros (1842-1888), Le collier de griffes (posthume, 1908).
28. « Phantasma », Charles Cros (1842-1888), Le collier de griffes (posthume, 1908).
29. « Le rêve du poète », François Coppée (1846-1903), Promenades et Intérieurs, 1891.
Poésies, 1895.
31. « Aube » d’Arthur Rimbaud, Les Illuminations, 1886.
32. « Rêves », Auguste Angellier (1848-1911), Le chemin des saisons, 1903.
33. « Rêves d’enfant », Paul-Jean Toulet (1867-1920), Les contrerimes, 1921.
34. « J’ai tant rêvé de toi », Robert Desnos (1900-1945), Corps et biens, « A la mystérieuse », 1930.
35. « Je rêve », Louis Aragon (1897-1982), Le fou d’Elsa, 1963.

« Les questions », Antoine-Vincent Arnault (1766-1834), Poésies mêlées, 1826.

Me demander si du plus froid des cœurs
J’ai cru fléchir la longue indifférence ;
Au seul plaisir si donnant quelques pleurs
J’ai cru jouir du prix de ma constance ;
Si, me berçant d’un penser si flatteur.
Avec la peine un moment j’ai fait trêve ;
Me demander si je crois au bonheur,
C’est me demander si je rêve.

Me demander si j’ai désespéré
De voir finir les chagrins que j’endure ;
Me demander si mon cœur déchiré
À chaque instant sent croître sa blessure ;
Si chaque jour, pour moi plus douloureux,
Ajoute encore aux ennuis de la veille ;
Me demander si je suis malheureux,
C’est me demander si je veille.

Me demander si, fier de mon tourment,
Je viens baiser la main qui me déchire ;
Si je désire autre soulagement
Que de mourir d’un aussi doux martyre ;
Si, moins l’espoir en amour m’est donné,
Plus constamment en amour je persiste ;
Me demander si j’aime encor Daphné,
C’est me demander si j’existe.

Écrit en 1790.

« À quelqu’un qui me réveillait », Antoine-Vincent Arnault (1766-1834), Poésies mêlées, 1826.

(Vers faits en pleine mer.)

Pourquoi me rendre à ma douleur ?
Pourquoi rétablis-tu, barbare,
Entre mon sort et le bonheur
L’immensité qui les sépare ?

En précipitant mon réveil,
Sais-tu bien ce que tu m’enlèves ?
Je retrouverai mon sommeil,
Mais retrouverai-je mes rêves ?

Je revoyais mon doux pays,
Ces beaux lieux que la Seine arrose !
J’embrassais mes heureux amis,
Et j’étais à côté de Rose !

Objets de mes vœux assidus,
Vous qui m’aimez, toi que j’adore,
Vous que j’avais déjà perdus,
Fallait-il donc vous perdre encore !

Écrit en 1797.

« Sonnet à mon ami R. », Félix Arvers (1806-1850), Mes heures perdues.

J’avais toujours rêvé le bonheur en ménage,
Comme un port où le cœur, trop longtemps agité,
Vient trouver, à la fin d’un long pèlerinage,
Un dernier jour de calme et de sérénité.

Une femme modeste, à peu près de mon âge
Et deux petits enfants jouant à son côté ;
Un cercle peu nombreux d’amis du voisinage,
Et de joyeux propos dans les beaux soirs d’été.

J’abandonnais l’amour à la jeunesse ardente
Je voulais une amie, une âme confidente,
Où cacher mes chagrins, qu’elle seule aurait lus ;

Le ciel m’a donné plus que je n’osais prétendre ;
L’amitié, par le temps, a pris un nom plus tendre,
Et l’amour arriva qu’on ne l’attendait plus.

« Rêves », Victor Hugo Victor Hugo, Odes et Ballades, 1827, Livre cinquième-1818-1828, Ode XXV.

I

Amis, loin de la ville,
Loin des palais de roi,
Loin de la cour servile,
Loin de la foule vile,
Trouvez-moi, trouvez-moi,

Aux champs où l’âme oisive
Se recueille en rêvant,
Sur une obscure rive
Où du monde n’arrive
Ni le flot, ni le vent,

Quelque asile sauvage,
Quelque abri d’autrefois,
Un port sur le rivage,
Un nid sous le feuillage,
Un manoir dans les bois !

Trouvez-le-moi bien sombre,
Bien calme, bien dormant,
Couvert d’arbres sans nombre,
Dans le silence et l’ombre
Caché profondément !

Que là, sur toute chose,
Fidèle à ceux qui m’ont,
Mon vers plane, et se pose
Tantôt sur une rose,
Tantôt sur un grand mont.

Qu’il puisse avec audace,
De tout nœud détaché,
D’un vol que rien ne lasse,
S’égarer dans l’espace
Comme un oiseau lâché.

II

Qu’un songe au ciel m’enlève,
Que, plein d’ombre et d’amour,
Jamais il ne s’achève,
Et que la nuit je rêve
A mon rêve du jour !

Aussi blanc que la voile
Qu’à l’horizon je vois,
Qu’il recèle une étoile,
Et qu’il soit comme un voile
Entre la vie et moi !

Que la muse qui plonge
En ma nuit pour briller
Le dore et le prolonge,
Et de l’éternel songe
Craigne de m’éveiller !

Que toutes mes pensées
Viennent s’y déployer,
Et s’asseoir, empressées,
Se tenant embrassées,
En cercle à mon foyer !

Qu’à mon rêve enchaînées,
Toutes, l’œil triomphant,
Le bercent inclinées,
Comme des sœurs aînées
Bercent leur frère enfant !

III

On croit sur la falaise,
On croit dans les forêts,
Tant on respire à l’aise,
Et tant rien ne nous pèse,
Voir le ciel de plus près.

Là, tout est comme un rêve ;
Chaque voix a des mots,
Tout parle, un chant s’élève
De l’onde sur la grève,
De l’air dans les rameaux.

C’est une voix profonde,
Un chœur universel,
C’est le globe qui gronde,
C’est le roulis du monde
Sur l’océan du ciel.

C’est l’écho magnifique
Des voix de Jéhova,
C’est l’hymne séraphique
Du monde pacifique
Où va ce qui s’en va ;

Où, sourde aux cris de femmes,
Aux plaintes, aux sanglots,
L’âme se mêle aux âmes,
Comme la flamme aux flammes,
Comme le flot aux flots !

IV

Ce bruit vaste, à toute heure,
On l’entend au désert.
Paris, folle demeure,
Pour cette voix qui pleure
Nous donne un vain concert.

Oh ! la Bretagne antique !
Quelque roc écumant !
Dans la forêt celtique
Quelque donjon gothique !
Pourvu que seulement

La tour hospitalière
Où je pendrai mon nid,
Ait, vieille chevalière,
Un panache de lierre
Sur son front de granit.

Pourvu que, blasonnée
D’un écusson altier,
La haute cheminée,
Béante, illuminée,
Dévore un chêne entier ;

Que, l’été, la charmille
Me dérobe un ciel bleu ;
Que l’hiver ma famille,
Dans l’âtre assise, brille
Toute rouge au grand feu ;

Dans les bois, mes royaumes,
Si le soir l’air bruit,
Qu’il semble, à voir leurs dômes,
Des têtes de fantômes
Se heurtant dans la nuit ;

Que des vierges, abeilles
Dont les cieux sont remplis,
Viennent sur moi, vermeilles,
Secouer dans mes veilles
Leur robe à mille plis !

Qu’avec des voix plaintives
Les ombres des héros
Repassent fugitives,
Blanches sous mes ogives
, Sombres sur mes vitraux !

V

Si ma muse envolée
Porte son nid si cher
Et sa famille ailée
Dans la salle écroulée
D’un vieux baron de fer ;

C’est que j’aime ces âges
Plus beaux, sinon meilleurs,
Que nos siècles plus sages ;
A leurs débris sauvages
Je m’attache, et d’ailleurs

L’hirondelle enlevée
Par son vol sur la tour,
Parfois, des vents sauvée,
Choisit pour sa couvée
Un vieux nid de vautour.

Sa famille humble et douce,
Souvent, en se jouant,
Du bec remue et pousse,
Tout brisé sur la mousse,
L’œuf de l’oiseau géant.

Dans les armes antiques
Mes vers ainsi joueront,
Et, remuant des piques,
Riront, nains fantastiques,
De grands casques au front.

VI

Ainsi noués en gerbe,
Reverdiront mes jours
Dans le donjon superbe,
Comme une touffe d’herbe
Dans les brèches des tours.

Mais, donjon ou chaumière,
Du monde délié,
Je vivrai de lumière,
D’extase et de prière,
Oubliant, oublié !

4 juin 1828

«  Rêverie » de Victor Hugo, Les Orientales, 1829, XXXVI.

Oh ! laissez-moi ! c’est l’heure où l’horizon qui fume
Cache un front inégal sous un cercle de brume,
L’heure où l’astre géant rougit et disparaît.
Le grand bois jaunissant dore seul la colline.
On dirait qu’en ces jours où l’automne décline,
Le soleil et la pluie ont rouillé la forêt.

Oh ! qui fera surgir soudain, qui fera naître,
Là-bas, — tandis que seul je rêve à la fenêtre,
Et que l’ombre s’amasse au fond du corridor, —
Quelque ville mauresque, éclatante, inouïe,
Qui, comme la fusée en gerbe épanouie,
Déchire ce brouillard avec ses flèches d’or !

Qu’elle vienne inspirer, ranimer, ô génies,
Mes chansons, comme un ciel d’automne rembrunies,
Et jeter dans mes yeux son magique reflet,
Et longtemps, s’éteignant en rumeurs étouffées,
Avec les mille tours de ses palais de fées,
Brumeuse, denteler l’horizon violet !

5 septembre 1828

« La pente de la rêverie », Victor Hugo, Les Feuilles d’automne, 1831, XXIX.

Obscuritate rerum verba sæpe obscurantur.
GERVASIUS TILBERIENSIS.

Amis, ne creusez pas vos chères rêveries ;
Ne fouillez pas le sol de vos plaines fleuries ;
Et, quand s’offre à vos yeux un océan qui dort,
Nagez à la surface ou jouez sur le bord.
Car la pensée est sombre ! Une pente insensible
Va du monde réel à la sphère invisible ;
La spirale est profonde, et quand on y descend
Sans cesse se prolonge et va s’élargissant,
Et pour avoir touché quelque énigme fatale,
De ce voyage obscur souvent on revient pâle !

L’autre jour, il venait de pleuvoir, car l’été,
Cette année, est de bise et de pluie attristé,
Et le beau mois de mai dont le rayon nous leurre,
Prend le masque d’avril qui sourit et qui pleure.
J’avais levé le store aux gothiques couleurs.
Je regardais au loin les arbres et les fleurs.
Le soleil se jouait sur la pelouse verte
Dans les gouttes de pluie, et ma fenêtre ouverte
Apportait du jardin à mon esprit heureux
Un bruit d’enfants joueurs et d’oiseaux amoureux.
Paris, les grands ormeaux, maison, dôme, chaumière,
Tout flottait à mes yeux dans la riche lumière
De cet astre de mai dont le rayon charmant
Au bout de tout brin d’herbe allume un diamant.
Je me laissais aller à ces trois harmonies,
Printemps, matin, enfance, en ma retraite unies ;
La Seine, ainsi que moi, laissait son flot vermeil
Suivre nonchalamment sa pente, et le soleil
Faisait évaporer à la fois sur les grèves
L’eau du fleuve en brouillards et ma pensée en rêves.

Alors, dans mon esprit, je vis autour de moi
Mes amis, non confus, mais tels que je les voi
Quand ils viennent le soir, troupe grave et fidèle,
Vous avec vos pinceaux dont la pointe étincelle,
Vous, laissant échapper vos vers au vol ardent,
Et nous tous écoutant en cercle, ou regardant.
Ils étaient bien là tous, je voyais leurs visages,
Tous, même les absents qui font de longs voyages.
Puis tous ceux qui sont morts vinrent après ceux-ci,
Avec l’air qu’ils avaient quand ils vivaient aussi.
Quand j’eus, quelques instants, des yeux de ma pensée,
Contemplé leur famille à mon foyer pressée,
Je vis trembler leurs traits confus, et par degrés
Pâlir en s’effaçant leurs fronts décolorés,
Et tous, comme un ruisseau qui dans un lac s’écoule,
Se perdre autour de moi dans une immense foule.

Foule sans nom ! chaos ! des voix, des yeux, des pas.
Ceux qu’on n’a jamais vus, ceux qu’on ne connaît pas.
Tous les vivants ! — cités bourdonnant aux oreilles
Plus qu’un bois d’Amérique ou des ruches d’abeilles,
Caravanes campant sur le désert en feu,
Matelots dispersés sur l’océan de Dieu,
Et, comme un pont hardi sur l’onde qui chavire,
Jetant d’un monde à l’autre un sillon de navire,
Ainsi que l’araignée entre deux chênes verts
Jette un fil argenté qui flotte dans les airs.

Les deux pôles ! le monde entier ! la mer, la terre,
Alpes aux fronts de neige, Etnas au noir cratère,
Tout à la fois, automne, été, printemps, hiver,
Les vallons descendant de la terre à la mer
Et s’y changeant en golfe, et des mers aux campagnes
Les caps épanouis en chaînes de montagnes,
Et les grands continents, brumeux, verts ou dorés,
Par les grands océans sans cesse dévorés,
Tout, comme un paysage en une chambre noire
Se réfléchit avec ses rivières de moire.
Ses passants, ses brouillards flottant comme un duvet,
Tout dans mon esprit sombre allait, marchait, vivait !
Alors, en attachant, toujours plus attentives,
Ma pensée et ma vue aux mille perspectives
Que le souffle du vent ou le pas des saisons
M’ouvrait à tous moments dans tous les horizons,
Je vis soudain surgir, parfois du sein des ondes,
À côté des cités vivantes des deux mondes,
D’autres villes aux fronts étranges, inouïs,
Sépulcres ruinés des temps évanouis,
Pleines d’entassements, de tours de pyramides,
Baignant leurs pieds aux mers, leur tête aux cieux humides.
Quelques-unes sortaient de dessous des cités
Où les vivants encor bruissent agités,
Et des siècles passés jusqu’à l’âge où nous sommes
Je pus compter ainsi trois étages de Romes.
Et tandis qu’élevant leurs inquiètes voix,
Les cités des vivants résonnaient à la fois
Des murmures du peuple ou du pas des armées,
Ces villes du passé, muettes et fermées,
Sans fumée à leurs toits, sans rumeurs dans leurs seins,
Se taisaient, et semblaient des ruches sans essaims.
J’attendais. Un grand bruit se fit. Les races mortes
De ces villes en deuil vinrent ouvrir les portes,
Et je les vis marcher ainsi que les vivants,
Et jeter seulement plus de poussière aux vents.
Alors, tours, aqueducs, pyramides, colonnes,
Je vis l’intérieur des vieilles Babylones,
Les Carthages, les Tyrs, les Thèbes, les Sions,
D’où sans cesse sortaient des générations.

Ainsi j’embrassais tout : et la terre, et Cybèle ;
La face antique auprès de la face nouvelle ;
Le passé, le présent ; les vivants et les morts ;
Le genre humain complet comme au jour du remords.
Tout parlait à la fois, tout se faisait comprendre,
Le pelage d’Orphée et l’étrusque d’Évandre,
Les runes d’Irmensul, le sphinx égyptien,
La voix du nouveau monde aussi vieux que l’ancien.

Or ce que je voyais, je doute que je puisse
Vous le peindre. C’était comme un grand édifice
Formé d’entassements de siècles et de lieux ;
On n’en pouvait trouver les bords ni les milieux ;
À toutes les hauteurs, nations, peuples, races,
Mille ouvriers humains, laissant partout leurs traces,
Travaillaient nuit et jour, montant, croisant leurs pas,
Parlant chacun leur langue et ne s’entendant pas ;
Et moi je parcourais, cherchant qui me réponde,
De degrés en degrés cette Babel du monde.

La nuit avec la foule, en ce rêve hideux,
Venait, s’épaississant ensemble toutes deux,
Et, dans ces régions que nul regard ne sonde,
Plus l’homme était nombreux, plus l’ombre était profonde.
Tout devenait douteux et vague ; seulement
Un souffle qui passait de moment en moment,
Comme pour me montrer l’immense fourmilière,
Ouvrait dans l’ombre au loin des vallons de lumière,
Ainsi qu’un coup de vent fait sur les flots troublés
Blanchir l’écume, ou creuse une onde dans les blés.

Bientôt autour de moi les ténèbres s’accrurent,
L’horizon se perdit, les formes disparurent,
Et l’homme avec la chose et l’être avec l’esprit
Flottèrent à mon souffle, et le frisson me prit.
J’étais seul. Tout fuyait. L’étendue était sombre.
Je voyais seulement au loin, à travers l’ombre,
Comme d’un océan les flots noirs et pressés,
Dans l’espace et le temps les nombres entassés.
Oh ! cette double mer du temps et de l’espace
Où le navire humain toujours passe et repasse,
Je voulus la sonder, je voulus en toucher
Le sable, y regarder, y fouiller, y chercher,
Pour vous en rapporter quelque richesse étrange,
Et dire si son lit est de roche ou de fange.
Mon esprit plongea donc sous ce flot inconnu,
Au profond de l’abîme il nagea seul et nu,
Toujours de l’ineffable allant à l’invisible…
Soudain il s’en revint avec un cri terrible,
Ébloui, haletant, stupide, épouvanté,
Car il avait au fond trouvé l’éternité.

28 mai 1830.

« Booz endormi », Victor Hugo, La Légende des siècles, Première série, 1859, I- D’Ève à Jésus, VI.

* Booz s’était couché de fatigue accablé ;
Il avait tout le jour travaillé dans son aire ;
Puis avait fait son lit à sa place ordinaire ;
Booz dormait auprès des boisseaux pleins de blé.

Ce vieillard possédait des champs de blés et d’orge ;
Il était, quoique riche, à la justice enclin ;
Il n’avait pas de fange en l’eau de son moulin ;
Il n’avait pas d’enfer dans le feu de sa forge.

Sa barbe était d’argent comme un ruisseau d’avril.
Sa gerbe n’était point avare ni haineuse ;
Quand il voyait passer quelque pauvre glaneuse ;
« Laissez tomber exprès des épis, » disait-il.

Cet homme marchait pur loin des sentiers obliques,
Vêtu de probité candide et de lin blanc ;
Et, toujours du côté des pauvres ruisselant,
Ses sacs de grains semblaient des fontaines publiques.

Booz était bon maître et fidèle parent ;
Il était généreux, quoiqu’il fût économe ;
Les femmes regardaient Booz plus qu’un jeune homme,
Car le jeune homme est beau, mais le vieillard est grand.

Le vieillard, qui revient vers la source première,
Entre aux jours éternels et sort des jours changeants ;
Et l’on voit de la flamme aux yeux des jeunes gens.
Mais dans l’œil du vieillard on voit de la lumière.

* Donc, Booz dans la nuit dormait parmi les siens.
Près des meules, qu’on eût prises pour des décombres,
Les moissonneurs couchés faisaient des groupes sombres ;
Et ceci se passait dans des temps très-anciens.

Les tribus d’Israël avaient pour chef un juge ;
La terre, où l’homme errait sous la tente, inquiet
Des empreintes de pieds de géants qu’il voyait,
Était encor mouillée et molle du déluge.

* Comme dormait Jacob, comme dormait Judith,
Booz, les yeux fermés, gisait sous la feuillée ;
Or, la porte du ciel s’étant entre-bâillée
Au-dessus de sa tête, un songe en descendit.

Et ce songe était tel, que Booz vit un chêne
Qui, sorti de son ventre, allait jusqu’au ciel bleu ;
Une race y montait comme une longue chaîne ;
Un roi chantait en bas, en haut mourait un Dieu.

Et Booz murmurait avec la voix de l’âme
« Comment se pourrait-il que de moi ceci vînt ?
Le chiffre de mes ans a passé quatre-vingt.
Et je n’ai pas de fils, et je n’ai plus de femme.

 » Voilà longtemps que celle avec qui j’ai dormi,
Ô Seigneur ! a quitté ma couche pour la vôtre ;
Et nous sommes encor tout mêlés l’un à l’autre,
Elle à demi vivante et moi mort à demi.

 » Une race naîtrait de moi ! Comment le croire ?
Comment se pourrait-il que j’eusse des enfants ?
Quand on est jeune, on a des matins triomphants ;
Le jour sort de la nuit comme d’une victoire ;

 » Mais, vieux, on tremble ainsi qu’à l’hiver le bouleau ;
Je suis veuf, je suis seul, et sur moi le soir tombe.
Et je courbe, ô mon Dieu ! mon âme vers la tombe,
Comme un bœuf ayant soif penche son front vers l’eau. »

Ainsi parlait Booz dans le rêve et l’extase.
Tournant vers Dieu ses yeux par le sommeil noyés ;
Le cèdre ne sent pas une rose à sa base,
Et lui ne sentait pas une femme à ses pieds.

* Pendant qu’il sommeillait, Ruth, une moabite,
S’était couchée aux pieds de Booz, le sein nu,
Espérant on ne sait quel rayon inconnu,
Quand viendrait du réveil la lumière subite.

Booz ne savait point qu’une femme était là.
Et Ruth ne savait point ce que Dieu voulait d’elle.
Un frais parfum sortait des touffes d’asphodèle ;
Les souffles de la nuit flottaient sur Galgala.

L’ombre était nuptiale, auguste et solennelle ;
Les anges y volaient sans doute obscurément.
Car on voyait passer dans la nuit, par moment,

La respiration de Booz qui dormait,
Se mêlait au bruit sourd des ruisseaux sur la mousse.
On était dans le mois où la nature est douce,
Les collines ayant des lys sur leur sommet.

Ruth songeait et Booz dormait ; l’herbe était noire ;
Les grelots des troupeaux palpitaient vaguement ;
Une immense bonté tombait du firmament ;
C’était l’heure tranquille où les lions vont boire.

Tout reposait dans Ur et dans Jérimadeth ;
Les astres émaillaient le ciel profond et sombre ;
Le croissant fin et clair parmi ces fleurs de l’ombre
Brillait à l’occident, et Ruth se demandait,

Immobile, ouvrant l’œil à moitié sous ses voiles,
Quel dieu, quel moissonneur de l’éternel été,
Avait, en s’en allant, négligemment jeté
Cette faucille d’or dans le champ des étoiles.

« Post-scriptum des rêves », Victor Hugo (1802-1885), Les chansons des rues et des bois, 1865.

C’était du temps que j’étais jeune ;
Je maigrissais ; rien ne maigrit
Comme cette espèce de jeûne
Qu’on appelle nourrir l’esprit.

J’étais devenu vieux, timide,
Et jaune comme un parchemin,
À l’ombre de la pyramide
Des bouquins de l’esprit humain.

Tous ces tomes que l’âge rogne
Couvraient ma planche et ma cloison.
J’étais parfois comme un ivrogne
Tant je m’emplissais de raison.

Cent bibles encombraient ma table ;
Cent systèmes étaient dedans ;
On eût, par le plus véritable,
Pu se faire arracher les dents.

Un jour que je lisais Jamblique,
Callinique, Augustin, Plotin,
Un nain tout noir à mine oblique
Parut et me dit en latin :

— « Ne va pas plus loin. Jette l’ancre,
« Fils, contemple en moi ton ancien,
« Je m’appelle Bouteille-à-l’encre ;
« Je suis métaphysicien.

« Ton front fait du tort à ton ventre.
« Je viens te dire le fin mot
« De tous ces livres où l’on entre
« Jocrisse et d’où l’on sort grimaud.

« Amuse-toi. Sois jeune, et digne
« De l’aurore et des fleurs. Isis
« Ne donnait pas d’autre consigne
« Aux sages que l’ombre a moisis.

« Un verre de vin sans litharge
« Vaut mieux, quand l’homme le boit pur,
« Que tous ces tomes dont la charge
« Ennuie énormément ton mur.

« Une bamboche à la Chaumière,
« D’où l’on éloigne avec soin l’eau,
« Contient cent fois plus de lumière
« Que Longin traduit par Boileau.

« Hermès avec sa bandelette
« Occupe ton cœur grave et noir ;
« Bacon est le livre où s’allaite
« Ton esprit, marmot du savoir.

« Si Ninette, la giletière,
« Veut la bandelette d’Hermès
« Pour s’en faire une jarretière,
« Donne-la-lui sans dire mais.

« Si Fanchette ou Landerirette
« Prend dans ton Bacon radieux
« Du papier pour sa cigarette,
« Fils des muses, rends grâce aux dieux.

« Veille, étude, ennui, patience,
« Travail, cela brûle les yeux ;
« L’unique but de la science
« C’est d’être immensément joyeux.

« Le vrai savant cherche et combine
« Jusqu’à ce que de son bouquin
« Il jaillisse une Colombine
« Qui l’accepte pour Arlequin.

« Maxime : N’être point morose,
« N’être pas bête, tout goûter,
« Dédier son nez à la rose,
« Sa bouche à la femme, et chanter.

« Les anciens vivaient de la sorte ;
« Mais vous êtes dupes, vous tous,
« De la fausse barbe que porte
« Le profil grec de ces vieux fous.

« Fils, tous ces austères visages
« Sur les plaisirs étaient penchés.
« L’homme ayant inventé sept sages,
« Le bon Dieu créa sept péchés.

« Ô docteurs, comme vous rampâtes !
« Campaspe est nue en son grenier
« Sur Aristote à quatre pattes ;
« L’esprit a l’amour pour ânier.

« Grâce à l’amour, Socrate est chauve.
« L’amour d’Homère est le bâton.
« Phryné rentrait dans son alcôve
« En donnant le bras à Platon.

« Salomon, repu de mollesses,
« Étudiant les tourtereaux,
« Avait juste autant de drôlesses
« Que Léonidas de héros.

« Sénèque, aujourd’hui sur un socle,
« Prenait Chloé sous le menton.
« Fils, la sagesse est un binocle
« Braqué sur Minerve et Goton.

« Les nymphes n’étaient pas des ourses,
« Horace n’était pas un loup ;
« Lise aujourd’hui se baigne aux sources,
« Et Tibur s’appelle Saint-Cloud.

« Les arguments dont je te crible
« Te sauveront, toi-même aidant,
« De la stupidité terrible,
« Robe de pierre du pédant.

« Guette autour de toi si quelque être
« Ne sourit pas innocemment ;
« Un chant dénonce une fenêtre,
« Un pot de fleurs cherche un amant.

« La grisette n’est point difforme,
« On donne aux noirs soucis congé
« Pour peu que le soir on s’endorme
« Sur un oreiller partagé.

« Aime. C’est ma dernière botte.
« Et je mêle à mes bons avis
« Cette fillette qui jabote
« Dans la mansarde vis-à-vis. »

Or je n’écoutai point ce drôle,
Et je le chassai. Seulement,
Aujourd’hui que sur mon épaule
Mon front penche, pâle et clément,

Aujourd’hui que mon œil plus blême
Voit la griffe du sphinx à nu,
Et constate au fond du problème
Plus d’infini, plus d’inconnu,

Aujourd’hui que, hors des ivresses,
Près des mers qui vont m’abîmer,
Je regarde sur les sagesses
Les religions écumer,

Aujourd’hui que mon esprit sombre
Voit sur les dogmes, flot changeant,
L’épaisseur croissante de l’ombre,
Ô ciel bleu, je suis indulgent

Quand j’entends, dans le vague espace
Où toujours ma pensée erra,
Une belle fille qui passe
En chantant traderidera.

« Le clair de lune », Aloysius Bertrand (1807-1841), Gaspard de la nuit, Livre III, V, 1842.

Oh ! qu’il est doux, quand l’heure tremble au clocher, la nuit, de regarder la lune qui a le nez fait comme un carolus d’or !

*

Deux ladres se lamentaient sous ma fenêtre, un chien hurlait dans le carrefour, et le grillon de mon foyer vaticinait tout bas.

Mais bientôt mon oreille n’interrogea plus qu’un silence profond. Les lépreux étaient rentrés dans leurs chenils, aux coups de Jacquemart qui battait sa femme.

Le chien avait enfilé une venelle, devant les pertuisanes du guet enrouillé par la pluie et morfondu par la bise.

Et le grillon s’était endormi, dès que la dernière bluette avait éteint sa dernière lueur dans la cendre de la cheminée.

Et moi, il me semblait, - tant la fièvre est incohérente ! - que la lune, grimant sa face, me tirait la langue comme un pendu !

« Un rêve », Aloysius Bertrand (1807-1841), Gaspard de la nuit, Livre III, VII, 1842.

J’ai rêvé tant et plus, mais je n’y entends note.

Pantagruel, livre III.

Il était nuit. Ce furent d’abord, — ainsi j’ai vu, ainsi je raconte, — une abbaye aux murailles lézardées par la lune, — une forêt percée de sentiers tortueux, — et le Morimont grouillant de capes et de chapeaux. Ce furent ensuite, — ainsi j’ai entendu, ainsi je raconte, — le glas funèbre d’une cloche auquel répondaient les sanglots funèbres d’une cellule, — des cris plaintifs et des rires féroces dont frissonnait chaque feuille le long d’une ramée, — et les prières bourdonnantes des pénitents noirs qui accompagnent un criminel au supplice.
Ce furent enfin, — ainsi s’acheva le rêve, ainsi je raconte, — un moine qui expirait couché dans la cendre des agonisants, — une jeune fille qui se débattait pendue aux branches d’un chêne, — et moi que le bourreau liait échevelé sur les rayons de la roue.
Dom Augustin, le prieur défunt, aura, en habit de cordelier, les honneurs de la chapelle ardente ; et Marguerite, que son amant a tuée, sera ensevelie dans sa blanche robe d’innocence, entre quatre cierges de cire.
Mais moi, la barre du bourreau s’était, au premier coup, brisée comme un verre, les torches des pénitents noirs s’étaient éteintes sous des torrents de pluie, la foule s’était écoulée avec les ruisseaux débordés et rapides, — et je poursuivais d’autres songes vers le réveil.

« La beauté », Charles Baudelaire (1821-1867), Les Fleurs du Mal, « Spleen et Idéal », 1857, XVII - 1861, XVII.

Je suis belle, ô mortels ! comme un rêve de pierre,
Et mon sein, où chacun s’est meurtri tour à tour,
Est fait pour inspirer au poète un amour
Éternel et muet ainsi que la matière.

Je trône dans l’azur comme un sphinx incompris ;
J’unis un cœur de neige à la blancheur des cygnes ;
Je hais le mouvement qui déplace les lignes,
Et jamais je ne pleure et jamais je ne ris.

Les poètes, devant mes grandes attitudes,
Que j’ai l’air d’emprunter aux plus fiers monuments,
Consumeront leurs jours en d’austères études ;

Car j’ai, pour fasciner ces dociles amants,
De purs miroirs qui font toutes choses plus belles :
Mes yeux, mes larges yeux aux clartés éternelles !

« Parfum exotique », Charles Baudelaire (1821-1867), Les Fleurs du Mal, « Spleen et Idéal », 1857, XXI - 1861, XXII.

Quand, les deux yeux fermés, en un soir chaud d’automne,
Je respire l’odeur de ton sein chaleureux,
Je vois se dérouler des rivages heureux
Qu’éblouissent les feux d’un soleil monotone ;

Une île paresseuse où la nature donne
Des arbres singuliers et des fruits savoureux ;
Des hommes dont le corps est mince et vigoureux,
Et des femmes dont l’œil par sa franchise étonne.

Guidé par ton odeur vers de charmants climats,
Je vois un port rempli de voiles et de mâts
Encor tout fatigués par la vague marine,

Pendant que le parfum des verts tamariniers,
Qui circule dans l’air et m’enfle la narine,
Se mêle dans mon âme au chant des mariniers.

«  La chevelure », Charles Baudelaire (1821-1867), Les Fleurs du Mal, 1861, « Spleen et Idéal », XXIII.

Ô toison, moutonnant jusque sur l’encolure !
Ô boucles ! Ô parfum chargé de nonchaloir !
Extase ! Pour peupler ce soir l’alcôve obscure
Des souvenirs dormant dans cette chevelure,
Je la veux agiter dans l’air comme un mouchoir !

La langoureuse Asie et la brûlante Afrique,
Tout un monde lointain, absent, presque défunt,
Vit dans tes profondeurs, forêt aromatique !
Comme d’autres esprits voguent sur la musique,
Le mien, ô mon amour ! nage sur ton parfum.

J’irai là-bas où l’arbre et l’homme, pleins de sève,
Se pâment longuement sous l’ardeur des climats ;
Fortes tresses, soyez la houle qui m’enlève !
Tu contiens, mer d’ébène, un éblouissant rêve
De voiles, de rameurs, de flammes et de mâts :

Un port retentissant où mon âme peut boire
A grands flots le parfum, le son et la couleur ;
Où les vaisseaux, glissant dans l’or et dans la moire,
Ouvrent leurs vastes bras pour embrasser la gloire
D’un ciel pur où frémit l’éternelle chaleur.

Je plongerai ma tête amoureuse d’ivresse
Dans ce noir océan où l’autre est enfermé ;
Et mon esprit subtil que le roulis caresse
Saura vous retrouver, ô féconde paresse,
Infinis bercements du loisir embaumé !

Cheveux bleus, pavillon de ténèbres tendues,
Vous me rendez l’azur du ciel immense et rond ;
Sur les bords duvetés de vos mèches tordues
Je m’enivre ardemment des senteurs confondues
De l’huile de coco, du musc et du goudron.

Longtemps ! toujours ! ma main dans ta crinière lourde
Sèmera le rubis, la perle et le saphir,
Afin qu’à mon désir tu ne sois jamais sourde !
N’es-tu pas l’oasis où je rêve, et la gourde
Où je hume à longs traits le vin du souvenir ?


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