Le Cas’Nard

Journal de Bernard Martial

© Bernard MARTIAL – août 2014


LA VERITE SUR L’AFFAIRE HARRY QUEBERT, roman de Joël Dicker, 2012.

mercredi 13 mars 2013, par Bernard MARTIAL

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Le 12 juin 2008, vers 13h, Marcus Goldman, écrivain en mal d’inspiration après le succès retentissant de son premier roman en 2006, reçoit un appel de Harry Quebert, son ancien professeur. La police vient de trouver dans sa propriété d’Aurora, dans le New Hampshire, des restes humains qui s’avèreront être ceux de Nola Kellergan, disparue le samedi 30 août 1975. Ce même soir, Deborah Cooper, une vieille dame habitant seule dans une maison de Side Creek Lane avait été assassinée, quelques minutes après avoir averti la police du passage près de chez elle d’une jeune fille poursuivie par un homme. Avec les restes de l’adolescente de quinze ans, les enquêteurs ont retrouvé le manuscrit des Origines du Mal qui avait fait d’Harry Quebert, en 1976, un des auteurs américains contemporains majeurs. Sur la couverture, une inscription : « Adieu, Nola chérie ». Harry est accusé du meurtre et mis en détention à la prison de Concord. Il risque la peine de mort. Benjamin Roth assure sa défense. Quatre jours plus tard, Marcus Goldman arrive à Aurora pour prouver l’innocence de son ancien professeur et ami à qui il doit tout depuis son passage à l’université de Burrows, Massachussetts, entre 1998 et 2003 quand Marcus jouait facilement au « Formidable » : une imposture paresseuse salutairement dénoncée par le maître. Le jeune romancier de trente ans s’installe dans la maison du vieux professeur de soixante-sept ans à Goose Cove et cherche à comprendre. Il se rapproche ainsi du sergent Perry Gahalowood de la Brigade criminelle de la police d’Etat du New Hampshire à Concord. Une autre obligation pourtant pèse sur lui comme une épée de Damoclès. S’il n’a pas déposé le manuscrit de son nouveau roman avant le 30 juin, Roy Barnaski, le tout-puissant directeur de Schmid & Hanson, son éditeur, engagera des poursuites contre lui. Il finira donc par accepter d’écrire un livre sur « l’affaire Harry Quebert » que Barnaski veut sortir avant l’élection présidentielle de novembre opposant Barack Obama et John Mac Cain.

Peu à peu, Marcus Goldman, qui rend visite à Harry dans sa prison, apprend l’histoire de la relation entre Harry, trente-quatre ans en 1975 et Nola, commencée le 3 juin et brutalement interrompue le 30 août de la même année. Ce soir-là, Harry attendait Nola dans la chambre 8 du Sea Side Motel où elle devait le rejoindre. Elle n’est jamais arrivée. Fille de Louisa Bonneville et du pasteur David Kelllergan, Nola est née à Jackson, Alabama le 12 avril 1960 et arrivée à Aurora en 1969. Elève au lycée, elle travaille le samedi au restaurant Clark’s tenu par Tamara Quinn. Jenny, la fille de Tamara et de Robert est amoureuse d’Harry et sa mère rêve de célébrité par ce mariage. En 2008, elle est pourtant devenue la femme de Travis Dawn, le chef de la police d’Aurora qui n’était en 1975 qu’un amoureux timide et l’adjoint du Chef Gareth Pratt. Les deux policiers ont été les premiers sur les lieux signalés par Déborah Cooper et ont participé à la poursuite d’une mystérieuse Chevrolet Monte Carlo noire aperçue s’enfuyant. Parce qu’il n’est pas venu à un déjeuner organisé en son honneur le jour d’une tentative de suicide de Nola, le 13 juillet, Tamara en veut à Harry et a dérobé chez lui un papier compromettant qui a mystérieusement disparu. Cette information a été transmise au Chef Pratt qui n’en a rien fait au moment de l’enquête pas plus qu’il n’a exploité le témoignage de Nancy Hattaway (alibi de Nola quand elle partit avec Harry à Rockland) qui prétendait que Nola était battue chez elle et qu’elle avait une relation avec Elijah Stern qui l’envoyait chercher par son chauffeur, un certain Luther Caleb, homme au visage déformé. Un jour, Marcus découvre chez le riche homme d’affaires un portrait de Nola nue. L’étau se resserre quand M. Goldman et P. Gahalowood découvrent que c’est Luther Caleb qui a peint le tableau et que ses propres parents croient qu’il a fait « une grosse connerie ». Luther a été retrouvé mort le 26 septembre 1975 en contrebas d’une falaise de Sagamore, au volant d’une Chevrolet noire et les experts graphologues confirment enfin que c’est lui qui a écrit « Adieu, Nola chérie » sur le manuscrit ». C’est sur cette conclusion que Marcus Goldman, acculé par Barnaski et son agent Douglas Caren, livre son manuscrit mais le 22 octobre une nouvelle vient détruire toute la crédibilité de l’écrivain. Il faut tout reprendre à zéro.

En trois parties (Le maladie des écrivains, la guérison des écrivains et le paradis des écrivains) et trente-un chapitres numérotés dans l’ordre décroissant (comme un compte à rebours) correspondant aux trente et un ans de Marcus Goldman en 2008 et aux trente et un conseils donnés par Harry pour faire un bon livre, Joël Dicker compose sa Vérité sur l’Affaire Harry Quebert qui, outre l’intrigue policière, nous donne à voir la rédaction de L’Affaire Harry Quebert par Marcus Goldman (tous les deux en sont à leur second roman). Ce procédé qu’on appelle la mise en abyme se double de l’effet d’écho entre le travail de Goldman et celui d’Harry Quebert sur leurs œuvres respectives et d’une réflexion sur l’imposture. C’est d’abord Harry qui fait ce procès au jeune « formidable » qui pérore à l’université de Burrows : « Vous êtes de la poudre aux yeux. […] Vous êtes ce qu’on appelle un imposteur. […] Laissez-moi deviner Marcus, vous avez fonctionné comme ça toute votre vie » (98) avant que le boomerang ne lui revienne violemment au visage avec la remise en question de la paternité de son chef d’œuvre. Il était presque normal que l’effet de miroir se retourne à nouveau contre son auteur. Une certaine presse, en effet, a voulu intenter un procès en plagiat à Joël Dicker en rapprochant La Vérité sur l’Affaire Harry Quebert du célèbre roman de Philip Roth La tache. Il faut dire que Dicker donne le bâton pour se faire battre en ne cachant pas son admiration pour le grand auteur et en choisissant même ce patronyme de Roth pour l’attribuer à un de ces personnages. Comme le souligne Arnaud Viviant dans Le Nouvel Observateur, Marcus Goldman est né à Newark, épicentre de l’œuvre de Roth. Il est affublé d’une mère juive assez caricaturale. La tache raconte l’histoire d’un jeune écrivain Nathan Zuckerman qui enquête sur Colman Silk, son maître en littérature, devenu un ami malgré la différence d’âge et accusé de propos racistes, dans une petite ville de l’Amérique profonde nommée Athéna.

(http://bibliobs.nouvelobs.com/rentree-litteraire-2012/20121105.OBS8048/joel-dicker-a-t-il-ecrit-une-pale-resucee-de-philip-roth.html/).

Si l’on veut pousser plus loin cette instruction, on fera aussi le rapprochement avec le non moins célèbre roman de Vladimir Nabokov Lolita paru en 1955 où le héros nommé Humbert Humbert (qui n’est pas sans rapport homophonique avec H.Quebert) devient à trente-sept ans l’amant d’une jeune fille de douze ans nommée Dolores Haze, alias Lolita ou Lola (L.O.L.A) à Ramsdale, en Nouvelle-Angleterre (comme Aurora). En insistant bien, on pourrait aussi chercher le modèle de Luther Caleb chez Steinbeck (le Lennie des Souris et des hommes) ou chez Mary Shelley (Frankenstein). Mais la littérature n’est-elle pas en elle-même une imitation et une inspiration permanente. Ira-t-on reprocher aujourd’hui à Maupassant d’avoir écrit dans Une Vie la même histoire que celle de Madame Bovary ?

Ce que l’on peut éventuellement arguer à l’auteur, c’est de nous donner bien peu de preuves du génie des soi-disant grands écrivains que sont Harry Quebert et Marcus Goldman. Les extraits des Origines du Mal ne semblent pas être à la hauteur des certitudes littéraires que le professeur d’université assène à son jeune disciple. Quant à l’intégrité morale acquise par Marcus, elle est sérieusement compromise par son accord pour publier un livre qui se trompe sur l’essentiel, c’est-à-dire le nom du coupable. Il est dangereux pour un auteur de prétendre coller à l’actualité au risque d’être démenti. Joël Dicker échappe à ce risque en restant dans le domaine de la fiction. Le roman en voulant multiplier les rebondissements n’échappe pas non plus à certaines invraisemblances dont les moindres ne sont pas cette ultime substitution de romans et le malentendu sur le rôle de la mère de Nola. Les dialogues amoureux entre le grand écrivain et la nymphette semblent aussi quelque peu manquer d’épaisseur mais n’est-ce pas le propre de l’amour de se croire inspiré quand il n’est souvent que transpiré ? Ce qui gêne peut-être aussi les critiques, c’est le mélange des genres : roman policier à la mode Cold Case, sociologie de l’Amérique profonde à deux pas de Boston et New-York (quelques semaines avant le massacre de Newton au Connecticut, non loin du New Hampshire), réflexion sur l’écriture et sur les rapports entre un maître et son élève, hommage déjà évoqué à des grands auteurs américains. Comment d’ailleurs un auteur européen peut-il prétendre écrire un roman américain ? Joël Dicker devrait-il donc se limiter au rayon de la littérature helvétique ? Malgré des défauts que l’on peut concéder, La Vérité sur l’Affaire Quebert vaut pour sa construction en puzzle qui jongle entre plusieurs temporalités entremêlées (la période du meurtre en 1975, la période de l’enquête et du livre en 2008 et la période intermédiaire de la rencontre entre Marcus et Harry), la réécriture permanente des événements en fonction des protagonistes et des données nouvelles, les déplacements inattendus et fréquents du centre de gravité de la suspicion criminelle et les remises en cause inhérentes des certitudes sur les protagonistes, à commencer par le narrateur principal qui passe régulièrement du statut de génie à celui de profanateur. Bref, si certains esprits peuvent faire la fine bouche, ce roman mérite le détour et fait passer un très bon moment. En épilogue, Joël Dicker fait d’ailleurs dire à Harry et écrire à Marcus : « Un bon livre, Marcus, est un livre que l’on regrette d’avoir terminé » (661) La formule est audacieuse pour un auteur qui risque de voir le lecteur le contredire pour peu qu’il vienne à bout des 665 pages. Le paradoxe d’un bon livre c’est effectivement que l’on est pressé d’arriver au bout et que l’on se sent frustré dès qu’on y est parvenu. Finaliste des prix Goncourt et Interallié, La Vérité sur l’Affaire Harry Quebert a été récompensé par le grand prix de l’Académie française et le Prix Goncourt des lycéens 2012. Que ce roman plaise à des publics aussi différents (l’un plus soucieux de la qualité littéraire, l’autre de la vitalité de l’intrigue) est déjà un signe.

La Vérité sur l’Affaire Harry Quebert, Joël Dicker, éditions De Fallois,


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