Le Cas’Nard

Journal de Bernard Martial

© Bernard MARTIAL – août 2014


No mercy, 용서는 없다, film coréen de Kim Hyeong-Joon, 2009

samedi 14 janvier 2012, par Bernard MARTIAL

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Deux jeunes gens venus prendre des photos d’oiseaux sauvages sur les bords de l’estuaire de la rivière Geum découvrent dans les roseaux le corps nu d’une jeune femme dont les membres et la tête ont été sectionnés. Le bras droit manque. Appelé sur les lieux, le Professeur Kang Min-Ho, un des grands pontes de la médecine légale rencontre l’inspecteur Min Seo-Young qui a été son élève à l’école de police et son supérieur hiérarchique, le bougon, rustre et macho Yoon Jong-Kang qui a décidé de faire de Min son souffre-douleur. Le légiste accepte pourtant qu’elle assiste à l’autopsie du corps mutilé identifié comme étant celui de Oh Eun-Ah une serveuse de 29 ans portée disparue. Pendant que Yoon se lance sur les traces d’un suspect qu’il maltraite, l’enquête de l’inspecteur Min progresse rapidement en direction du leader d’un groupe d’activistes environnementalistes qui manifestent régulièrement contre les projets d’aménagement de l’estuaire. Les empreintes des chaussures et de la canne de Lee Seong-Ho, ses écrits faisant référence à la Vénus de Milo et ses propres aveux semblent augurer d’une conclusion rapide du dossier d’autant qu’on retrouve rapidement le bras manquant et la scie qui a servi à découper le corps. C’est là pourtant que tout commence. Alors qu’il attendait à l’aéroport de retrouver sa fille qu’il n’avait pas vue depuis treize ans, le Professeur Kang a reçu d’un inconnu une enveloppe contenant des photos de Hye-Won qui a été kidnappée. Le message venant de Lee Seong-Ho, le médecin légiste se précipite à la prison pour le faire parler quand il se voit proposer un terrible marché. Avant trois jours, le médecin doit réussir à le faire sortir s’il veut retrouver sa fille vivante. Une course contre la montre s’engage qui fera basculer le légiste dans la marginalité et l’illégalité. Effaçant les traces sur la scie, semant le doute dans l’esprit de l’inspectrice Min, maquillant les preuves pour faire accuser Min Byung-Do le premier suspect, Kang est aussi confronté à Park Pyeong-Sik et il laisse derrière lui des traces de son passage qui éveillent bientôt les doutes de Min Seo-Young. La jeune femme plus perspicace que son idiot de collègue trouve ce qui unit Lee et Kang. Au procès du viol collectif dont a été victime Lee Su-Jin, la sœur de l’activiste, le témoignage du médecin a permis de disculper les accusés. A l’issue du procès la jeune fille s’est suicidée et le Docteur Kang a envoyé sa fille subir des greffes de moelle osseuse pour soigner sa maladie de Gaucher. Les dernières preuves de la culpabilité de Lee s’effacent et il est libéré mais une épreuve horrible attend le médecin.

Premier film de Kim Hyeong-Joon No Mercy fait inévitablement penser à ses illustres modèles du cinéma coréen contemporain. Et d’abord à la trilogie de la vengeance de Park Chan-Wook. Dans Sympathy for Mr Vengeance le jeune Ryu bascule dans l’horreur pour offrir une greffe de rein à sa sœur et se trouve confronté à son ex-patron Park Dong-Jin dont il a enlevé la fille dans une course poursuite fatale. Ici Kang lutte aussi pour sa fille et Lee cherche à venger sa sœur. Dans Lady Vengeance il est encore question d’enfant et de fille et le film révèle que le professeur Baek est peut-être plus coupable que Lee Geum-Ja qui a purgé sa peine pour un supposé infanticide. Les deux protagonistes de No mercy plongent en parallèle dans les abysses du mal comme Oh Dae-Su et Lee Woo-Jin, les deux rivaux de Old Boy. La tragédie profanatrice du chef d’œuvre de Park Chan-Wook trouve un sanglant écho dans la profanation tragique accomplie par le scalpel du légiste. Comme dans The Chaser le coupable (Jee Young-Min) est assez rapidement arrêté par la police ce qui n’empêche pas la course poursuite pour retrouver une jeune femme (Kim Mi-Jin dans le film de Na Hong-Jin). On pense aussi inévitablement aux corps démembrés de La 6e victime de Chang Yun-Hyun ou aux meurtres rituels de Se7en de David Fincher. Par bien des côtés, ce polar noir comme le désespoir fait penser à Memories of murder notamment dans la caricature grinçante du flic borné qui confond intelligence et violence (mais Song Kang-Ho est bien meilleur dans le rôle de l’inspecteur Park Boo-Man que Seong Ji-Roo dans celui du vieux détective dépassé), à The Host du même Bong Joon-Ho par son arrière-plan écologique autour d’une rivière menacée, ou encore à Breathless de Yang Ik-June dans sa violence absolue. Sol Kyung-Gu (déjà vu dans Peppermint Candy, Public ennemy et Haeundae) évolue parfaitement de la rigueur scientifique à la passion hystérique de l’homme blessé dans le rôle ambigu du professeur Kang et Ryu Seung-Beom (déjà présent dans Sympathy for Mr Vengeance) campe un psychopathe tout aussi complexe et effrayant. Si l’on rajoute à toutes ces références quelques clins d’œil à Dexter pour son côté pervers ou aux Experts pour sa technicité scientifique à manipuler les indices, on voit que le principal handicap de ce film est la tentation permanente de la comparaison écrasante qui ne se fait pas toujours à l’avantage de cet opus. Au cinéma comme en duel, c’est le premier qui tire qui sort vainqueur. Au-delà de ces critiques sur le marché désormais saturé du cinéma cauchemardesque sud-coréen, le film bénéficie d’une excellente maîtrise technique et fonctionne malgré tout comme un piège redoutable qui enferme le spectateur dans son angoisse et son impatience. Sans pitié pour le témoin, le film est aussi sans concession sur l’âme humaine. La survie d’un être se fait souvent au détriment de la vie d’un autre mais ces crédits se remboursent très cher. « Homme, ne cherche plus l’auteur du mal, écrit Rousseau dans la Profession de foi du vicaire savoyard, cet auteur, c’est toi-même. Il n’existe point d’autre mal que celui que tu fais ou que tu souffres, et l’un et l’autre te vient de toi. Le mal général ne peut être que dans le désordre, et je vois dans le système du monde un ordre qui ne se dément point. Le mal particulier n’est que dans le sentiment de l’être qui souffre ; et ce sentiment, l’homme ne l’a pas reçu de la nature, il se l’est donné. La douleur a peu de prise sur quiconque, ayant peu réfléchi, n’a ni souvenir ni prévoyance. Otez nos funestes progrès, ôtez nos erreurs et nos vices, ôtez l’ouvrage de l’homme, et tout est bien. »


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