LIBERTE ET RESPECT

Dans le Mariage de Figaro, le héros éponyme raconte une de ses mésaventures d’écrivain :

« Je broche une comédie dans les mœurs du sérail ; auteur espagnol, je crois pouvoir y fronder Mahomet sans scrupule : à l’instant, un envoyé… de je ne sais où se plaint que j’offenses, dans mes vers, la Sublime Porte, la Perse, une partie de la presqu’île de l’Inde, toute l’Egypte, les royaumes de Barca, de Tripoli, de Tunis, d’Alger et de Maroc : et voilà ma comédie flambée pour plaire aux princes mahométans, dont pas un, je crois, ne sait lire, et qui nous meurtrissent l’omoplate, en nous disant : « chiens de chrétiens » ! Ne pouvant avilir l’esprit, on se venge en le maltraitant » (V 3).

Le 1er février 2006, le propriétaire de France-Soir, l’homme d’affaires franco-égyptien Raymond Lakah, limoge le directeur du journal, Jacques Lefranc, parce qu’il avait choisi de montrer au titre du droit à l’information les caricatures de Mahomet publiées dans le journal danois Jyllands Posten en septembre 2005, qualifiant sa décision de « signe fort de respect des croyances et des convictions intimes de chaque individu ». Pendant tout le mois les mouvements de protestation vont s’amplifier dans tout le monde arabe contre les représentations danoises, norvégiennes et françaises au nom du blasphème et de l’outrage. Certes, la religion musulmane interdit les représentations du prophète (anticonisme) : celles qui pourraient être valorisantes et donc à plus forte raison celles qui peuvent apparaître comme péjoratives ou sarcastiques. On peut donc comprendre la réaction épidermique d’une communauté hypersensible qui se sent stigmatisée dans ce contexte international de manichéisme culturel et militaire. Mais on comprend moins cet effet à retardement de réactions naissant « brusquement et spontanément » six mois après la publication relativement discrète dans un petit journal danois sinon à considérer que les protestations d’émotions spontanées auraient pu être suscitées par des groupes de pression dont les intentions étaient moins théologiques et candides que politiques et calculées, un prétexte en somme pour allumer un nouveau feu ou un contre-feu pour détourner l’attention. La mondialisation de l’économie et de la culture doit fonctionner dans les deux sens surtout quand on prétend, comme la démocratie et l’Islam, s’élever à une dimension planétaire. Si l’Occident doit apprendre à vivre avec les valeurs et les traditions de l’Islam dans le respect et la délicatesse, la religion musulmane, qui se veut une ambition universaliste, doit elle aussi, accepter d’intégrer cet élément de la culture occidentale qui est la possibilité de soumettre toute valeur au tamis de l’esprit critique, de la raison et éventuellement de la dérision . Le Christianisme qui a eu longtemps un comportement violent à l’égard de ce libre arbitre intellectuel tant qu’il était hégémonique et expansionniste, y a gagné finalement en pureté et en crédibilité. Tout le monde a la liberté de croire mais aussi de penser et de s’exprimer. Seules les convictions fragiles peuvent être ébranlées par les contradictions qui rendent plus fortes au contraire les vrais choix. Et pour terminer par là où nous avons commencé, donnons la parole à Figaro : « sans la liberté de blâmer, il n’est point d’éloge flatteur ».