Le Cas’Nard

Journal de Bernard Martial

© Bernard MARTIAL – août 2014


LA RAFLE

Film français de Rose Bosch, 2010

dimanche 14 mars 2010, par Bernard MARTIAL

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Il y a des coïncidences troublantes. A quelques minutes de la projection de La Rafle le 13 mars (le film est sorti le 10 mars 2010), j’apprends la nouvelle de la mort de Jean Ferrat. Avant de voir le film d’Alain Resnais et celui de Jacques Lanzmann, avant de lire Christian Bernadac, Primo Levi, Jorge Semprun, Art Spiegelman, Robert Antelme ou David Rousset, c’est par la chanson « Nuit et Brouillard » que j’avais été sensibilisé au génocide des Juifs pendant la Seconde Guerre Mondiale. Dans la rédaction du Concours de la Résistance consacré à cet Holocauste en 1975, j’avais cité les vers de ce texte :

Ils étaient vingt et cent, ils étaient des milliers
Nus et maigres, tremblants, dans ces wagons plombés
Qui déchiraient la nuit de leurs ongles battants
Ils étaient des milliers, ils étaient vingt et cent

Je ne savais pas alors (je l’ai appris à l’occasion de sa mort) que Jean Ferrat s’appelait en réalité Jean Tennenbaum et que son père Mnacha avait été déporté à Auschwitz alors qu’il avait onze ans. Ainsi entre Joseph Weismann, le rescapé et Jean Ferrat, caché par des militants communistes s’établissait une rencontre mystérieuse et symbolique.

LE FILM

Joseph Weismann (Hugo Leverdez) a onze ans en 1942. Il vit à Montmartre avec son père Schmuel (Gad Elmaleh), un ouvrier communiste, sa mère Sura (Raphaëlle Agogué) qui parle encore avec son accent polonais et ses deux sœurs Charlotte, la danseuse et Rachel. Il est ami avec Simon Zygler qui a un petit frère Noé, dit « Nono » et une sœur Louise ; leur mère Bella (Sylvie Testud) est enceinte et leur père en zone sud. Jo, Simon et Nono sont de vrais petits poulbots parigots mais sur leur poitrine, ils portent, depuis le décret du 7 juin, une étoile jaune qui leur vaut les remarques désagréables de la boulangère et l’interdiction de certains lieux publics. Mais dans l’ensemble, la communauté juive montmartroise est confiante « la France c’est le salut des Juifs », « beaucoup mieux que Lublin ». Schmuel n’est-il pas un ancien combattant de la première guerre mondiale ? Hélas, derrière la douceur de cette fin d’année scolaire où Joseph rapporte fièrement un prix d’excellence de l’école, se préparent des décisions tragiques. En Allemagne, Hitler et Himmler mettent au point la solution finale et au siège de la Gestapo, les autorités allemandes négocient avec la police française l’arrestation de 24.000 Juifs du Grand Paris, fût-ce au prix de la déchéance de nationalité de Juifs français. « Que les enfants suivent ! » dit Laval qui ne veut pas s’embarrasser d’orphelins.

Le 16 juillet à 4h du matin, les arrestations commencent. Pour les autorités, c’est un échec relatif puisque beaucoup de Juifs ont réussi à échapper à la rafle grâce à des avertissements et des complicités. Pour ceux qui se retrouvent enfermés au Vélodrome d’Hiver, malheureusement, c’est le début de l’enfer. Simon et Nono ont perdu leur mère, Anna Traube, la fille du professeur Saul Traube réussit à s’enfuir avec l’aide du plombier Gaston Rocs. Les pompiers font ce qu’ils peuvent pour adoucir le sort des raflés. Pendant plusieurs jours, plus de 8.000 personnes sont enfermées dans la chaleur du vélodrome sans eau et sans nourriture. David Sheinbaum (Jean Reno), le seul médecin est assisté de six infirmières dont Annette Monod (Mélanie Laurent) qui vient juste d’obtenir son diplôme. Quand les prisonniers sont transférés au camp de Beaune-la-Rolande dans le Loiret, elle décide de les accompagner, s’attachant en particulier au sort des enfants, notamment le petit Nono qui ne comprend pas ce qui lui arrive. Le départ des enfants étant différé, les familles sont séparées. Joseph voudrait s’enfuir avec les Zygler mais Simon a une hernie. Il tentera sa chance avec Joseph Kogan. Annette est au bord de l’épuisement quand les Allemands viennent chercher les enfants. Tout dans le film est vrai et les événements, même les plus extrêmes ont eu lieu en cet été 1942.

LES RAFLES DE L’ÉTÉ 1942

Les rafles d’hommes juifs en France, demandées par les Allemands et réalisées en collaboration avec la police française, commencent à Paris en mai et août 1941, avant la décision des nazis, à l’automne, d’assassiner les Juifs d’Europe. Dirigée par Adolf Eichmann, la planification pour les trois pays occidentaux occupés par les nazis (France, Belgique et Pays-Bas) débute en juin 1942. Le 15 juin, alors que deux convois ont déjà quitté la France pour Auschwitz, le quota pour l’Hexagone est fixé à 40.000 personnes à déporter en 1942. Theodor Dannecker, représentant d’Adolf Eichmann, mène les négociations avec René Bousquet, Secrétaire Général à la police de l’Etat français : pour les Allemands, il s’agit d’obtenir la collaboration de la police française en zone occupée et la livraison par Vichy de Juifs de la zone libre. Le 2 juillet, un accord est entériné. 20.000 Juifs étrangers seront arrêtés en zone occupée, 10.000 autres en zone libre. En contrepartie, le gouvernement de Vichy obtient le contrôle de la police française. Le 3 juillet, Pétain et Laval donnent leur accord ; le Président du Conseil déclare se désintéresser des enfants en zone occupée et propose aux Allemands, qui ne l’avaient pas réclamé, la déportation des enfants dont les parents seront arrêtés en zone libre.

En zone occupée, les arrestations débutent dès le 13 juillet. Dans l’agglomération parisienne, la rafle du Vel’d’Hiv’, dite opération « Vent printanier », est réalisée les 16 et 17 juillet par des fonctionnaires de police français. 13.152 Juifs, dont 4.115 enfants, la plupart nés en France, sont arrêtés à leur domicile, sur la base du fichier élaboré par la Préfecture de Police. Gardiens de la paix, inspecteurs en civil, élèves des écoles de police, soit près de 7.000 hommes, participent à la rafle qui concerne pour la première fois femmes et enfants. Les adultes seuls sont envoyés à Drancy ; les familles, soit 8.160 personnes, sont parquées pendant 3 à 5 jours au Vel’d’Hiv’, puis acheminées vers les camps du Loiret.

CAMPS D’INTERNEMENT EN FRANCE

Avec la guerre et la défaite, les camps d’internement ouverts au moment de l’arrivée de 500. 000 réfugiés fuyant l’Espagne (Gurs, Rivesaltes, Le Vernet…) sont mobilisés par le gouvernement de Vichy pour interner des opposants politiques, les trafiquants, les criminels. Après la promulgation de la loi du 4 octobre 1940 sur l’internement des Juifs étrangers, des dizaines de milliers d’entre eux sont acheminés vers les camps avant même la fin de l’année. A l’automne, on compte près de 50.000 internés ; le nombre d’enfants passe de 2.295 à plus de 4.000 en janvier 1941.Les anciens camps de prisonniers de guerre, Pithiviers et Beaune-La-Rolande deviennent des camps d’internement pour les 3.700 Juifs étrangers arrêtés à Paris par la police française lors de la rafle parisienne du 14 mai 1941. Le camp d’internement de Drancy, dans la banlieue parisienne, est ouvert en août à la suite de la seconde rafle, dite du XIe arrondissement, qui se traduit par l’arrestation de 4.230 hommes juifs. A partir des grandes rafles de l’été 1942, les camps d’internement de la zone occupée accueillent massivement les femmes et les enfants, dorénavant déportables.

***

Il y a des films que l’on apprécie pour leur dimension artistique en tant qu’œuvre de fiction, qui font avancer l’art ou marcher le commerce ou l’industrie culturelle. Il est peut-être un peu déplacé de parler de qualité de la photo ou du jeu des acteurs quand le sort de ces réfugiés confiants en la France nous arrache les larmes. La Rafle est avant tout un document utile pour l’Histoire. Jamais jusqu’à présent la rafle du Vel’d’Hiv n’avait été montrée au cinéma aussi directement en adoptant le point de vue des enfants et le Vélodrome a été détruit. Il n’existe d’ailleurs quasiment aucun document d’époque de cet épisode sinistre de l’histoire de France qui porte la trace infâmante de la complicité de la police et de l’Etat français dans la déportation des Juifs. Sans manichéisme ni pathos excessif, la reconstitution basée sur des témoignages de survivants et de témoins et sur les archives de Serge Klarsfeld parvient à nous faire comprendre des événements longtemps occultés par la nécessaire réconciliation de l’après-guerre. On mesure que le drame est scellé par des dirigeants (qu’ils soient allemands ou français) qui ne sont jamais en présence des victimes et que les soldats des deux camps sont poussés à faire le sale boulot (entre devoir d’obéissance et problème de conscience). Point de manichéisme non plus : la population française traversée par la propagande ne tombe pas dans l’antisémitisme systématique comme certains discours ont voulu le faire croire après les années d’illusion résistante. Mais la responsabilité des Pétain, Laval, Bousquet, Leguay, Hennequin n’est pas esquivée. Dans un pays qui a du mal à analyser les périodes les plus sombres de son passé, ce film est utile et plutôt convaincant. Que demander de plus. Si l’on veut que de nouveaux « avatars » de ces tortionnaires ne viennent hanter notre futur, il faut que les générations présentes qui n’ont pas connu ou lu l’innommable regardent, discutent et réfléchissent.

Portfolio

La seule photo de la rafle du Vel'd'Hiv Affiche du film "La rafle"

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