Le Cas’Nard

Journal de Bernard Martial

© Bernard MARTIAL – août 2014


L’ENNEMI INTIME

dimanche 22 mars 2009, par Bernard MARTIAL

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Poursuivant un travail entrepris depuis plus de vingt ans et qui s’est illustré par la publication en 1992 de La guerre sans nom et la diffusion en 2002 du documentaire L’ennemi intime, l’historien Patrick Rotman nous propose aujourd’hui son troisième volet sur la guerre d’Algérie : un film de fiction homonyme, réalisé par Florent-Emilio Siri et interprété par Benoît Magimel (qui a soutenu pendant six ans ce projet qui effrayait les producteurs) et Albert Dupontel. Le scénariste n’a pas cherché là à refaire un documentaire objectif, exhaustif et pédagogique sur les tenants et les aboutissants de cette guerre (pour cela, il faut se référer au document initial disponible en DVD). La fiction se resserre sur un espace-temps beaucoup plus court : les montagnes arides des Aurès en 1959 et un nombre restreint de personnages : un détachement de l’armée française faisant la chasse aux fellaghas, ces maquisards du FLN. Beaucoup de jeunes appelés fragiles et tétanisés par la peur et le spectacle insoutenable des horreurs, des anciens de la seconde guerre mondiale et de l’Indochine comme ce commandant traumatisé par les défaites de 1940 et de 1954 et prêt à tout pour en éviter une troisième, le capitaine Bertaut jadis torturé par la Gestapo et qui est devenu tortionnaire ou le sergent Dougnac soldat cynique, désabusé mais qui se noie dans l’alcool pour oublier. Il y a aussi les Algériens, ceux des villages, victimes des deux camps, ceux du FLN et les Harkis et ceux qui ne savent plus dans quel camp ils se trouvent. Et, figure centrale du film, le lieutenant Terrien, jeune homme cultivé et idéaliste qui va accomplir dans ces montagnes son Voyage au bout de l’enfer pour finir par trouver son véritable ennemi intime : lui-même.

Avec le film de Michaël Cimino précédemment évoqué, mais aussi Apocalypse Now, Platoon ou Full Metal Jacket, les Américains nous avaient montré qu’ils avaient su affronter courageusement les fantômes de leur histoire. En France, on avait plus de mal, malgré quelques films partisans comme La Question ou La Bataille d’Alger, en général censurés par le pouvoir politique. Le temps est peut-être venu d’affronter la réalité et le cinéma peut y aider.

Tout est faux dans ce film puisque le scénariste et le metteur en scène inventent une dramaturgie propre en composant des personnages nouveaux et en concentrant des situations dans une narration rythmée. Mais ? comme le rappelle Patrick Rotman, tous les détails sont vrais et renvoient à des anecdotes rapportées par des témoins. Et selon le principe aragonien du « mentir-vrai », cette fiction nous dit peut-être plus la vérité sur l’humanité qu’une compilation de faits bruts et de chiffres. Elle incarne le drame de cette guerre sans nom, horrible et vaine à travers des figures archétypales. D’autant que le film échappe à deux pièges du film de genre : l’esthétisation gratuite et complaisante de la violence (la guerre n’est pas un jeu vidéo), de plus en plus fréquente sur les écrans, et le manichéisme. Ainsi les itinéraires moraux de Dougnac et de Terrien s’avèreront-ils plus complexes qu’il y paraît à première vue. L’armée française qui recourt à la torture, au napalm, aux exécutions sommaires, en prend pour… « ses gradés » mais la résistance algérienne invisible et omniprésente n’est pas exemptée de la critique acerbe : massacre de villageois, torture… Quelques scènes fortes marqueront le spectateur comme la découverte du charnier, la discussion entre Bertaut et Terrien sur l’indépendance et la torture, le bombardement des « bidons spéciaux », l’échange poignant entre les deux anciens combattants algériens de Monte Cassino, l’un qui a choisi le FLN et l’autre d’être un « Harki ». D’une certaine façon, l’ennemi intime, s’inscrit dans la continuité d’Indigènes en amenant à (re)découvrir des pans sombres et cachés de notre histoire pour nous aider à exorciser nos vieux démons et faciliter le devoir de mémoire et de réflexion. « S’il y a des guerres légitimes, guerres de libération ou d’indépendance, il n’existe pas de guerre propre : le propre de la guerre c’est d’être sale, dit Patrick Rotman dans une interview au Monde. Il vaut mieux être conscient que l’on peut soi-même commettre des atrocités pour pouvoir s’y opposer ». A voir avec nos élèves. en salle le 3 octobre.


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