Le Cas’Nard

Journal de Bernard Martial

© Bernard MARTIAL – août 2014


PASSAGE A TABAC

dimanche 23 novembre 2008, par Bernard MARTIAL

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En vertu de la loi portant interdiction de fumer dans les lieux publics à usage collectif entrée en vigueur le 1er février 2007, l’Education Nationale, en accord avec le Ministère de la Santé a décidé de censurer de toutes les éditions scolaires et commerciales cette réplique de la scène 1 de l’acte I du Dom Juan de Molière, pour incitation au tabagisme :

SGANARELLE, tenant une tabatière : « Quoi que puisse dire Aristote et toute la philosophie, il n’est rien d’égal au tabac : c’est la passion des honnêtes gens, et qui vit sans tabac n’est pas digne de vivre. Non seulement il réjouit et purge les cerveaux humains, mais encore il instruit les âmes à la vertu, et l’on apprend avec lui à devenir honnête homme. Ne voyez-vous pas bien, dès qu’on en prend, de quelle manière obligeante on en use avec tout le monde, et comme on est ravi d’en donner à droit et à gauche, partout où l’on se trouve ? On n’attend pas même qu’on en demande, et l’on court au-devant du souhait des gens : tant il est vrai que le tabac inspire des sentiments d’honneur et de vertu à tous ceux qui en prennent. »

Personnellement, je n’ai jamais fumé, même si à l’époque lointaine de ma jeunesse sage cette attitude passa aux yeux de beaucoup pour de la vassalité à la grande morale bourgeoise. Et je dois dire que j’ai eu souvent à supporter en silence ces lieux saturés de fumée qui agressaient mes yeux déjà fragiles où on se souciait peu des non-fumeurs. De Malraux à Sartre, ces volutes blanches passaient pour les exhalaisons vaporeuses de l’intelligence supérieure. Je pourrais vous parler du tabac qui a accéléré le diabète de mon père au point qu’il mourut dans l’angoisse d’une amputation. Et je ne referai pas la leçon de biologie sur les cancers et autres maladies cardio-vasculaires. Egoïstement, cette loi m’arrange car elle me donne le droit de ne pas fumer et d’évoluer dans un environnement plus sain.

Pourtant, je ne peux pas m’empêcher de penser que nos directeurs de conscience sont aujourd’hui ceux qui veulent prendre leur revanche sur le fameux esprit de mai 68 et son célèbre « il est interdit d’interdire ». De droite et de gauche, on prétend désormais faire notre bonheur en multipliant les avertissements, les limites et les sanctions à notre vie privée. Les Français sont de grands enfants vous savez ! En tant que parent et enseignant, je sais bien quelle est la vertu des règles que l’on établit et que l’on explicite mais ce qui fait la liberté de l’état d’adulte n’est-il pas justement le libre choix des risques que l’on prend ? (sans en faire prendre aux autres, je vous l’accorde). Derrière ces premières vagues d’interdictions consensuelles, parce que touchant la santé, concernant la vitesse et le tabac, combien d’autres se cachent qui, progressivement, chercheront peut-être, demain, à canaliser nos vies dans une démarche aseptisée, eugéniste et performante pour le plus grand profit du système ? Nous serons des êtres parfaits jusqu’à ce que, consumés jusqu’au bout du filtre, on nous écrase comme une vieille clope au fond du cendrier des improductifs et usés, même plus bons à trier et à recycler. Sarko, Ségo, Mégo, même combat ?


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