Le Cas’Nard

Journal de Bernard Martial

© Bernard MARTIAL – août 2014


Far away, les soldats de l’espoir, titre original My Way, 마이 웨이 (Mai Wei), film sud-coréen de Kang Je-Kyu, 2011.

samedi 12 avril 2014, par Bernard MARTIAL

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En mars 1928, le jeune Tatsuo Hasegawa vient rejoindre son grand-père à Kyung-Sung (aujourd’hui Séoul), en Corée, alors occupée par les Japonais depuis 1905. Il défie à la course un enfant de son âge, Kim Jun-Shik dont le père est au service de son grand-père. Les deux jeunes gens deviennent rivaux dans les marathons mais un jour le grand-père est tué dans un attentat à la bombe. Jun-Shik et sa sœur sont chassés alors que leur père est arrêté et torturé. Après la victoire de Son Ki-Jung, marathonien coréen aux Jeux Olympiques de Berlin en 1936, les autorités japonaises organisent les sélections en 1938 pour les Jeux de Tokyo mais comme Jun-Shik, reconverti entre-temps en tireur de pousse-pousse, gagne la course devant Tatsuo, le commissaire de course invalide le résultat sous le prétexte que le coureur coréen aurait fait tomber Kumura, un des concurrents. Il ne faut pas évidemment qu’un coureur coréen surclasse le champion nippon et Kumura fait partie du piège. Mais devant l’injustice de cette décision, la foule se révolte et les principaux leaders du soulèvement sont arrêtés et condamnés à aller se battre sur le front sous l’uniforme impérial.
A la bataille de Nomonhan, à la frontière mongole, en juillet 1939, le bataillon du colonel Takakura acculé par l’armée soviétique est contraint de battre en retraite alors même que Jun-Shik parvient à arrêter un sniper, une jeune rebelle chinoise du nom de Shirai, qui tire sur les soldats pour venger sa famille tuée par les Japonais. Mais bientôt, arrive un nouveau colonel qui dégrade Takakura au rang de simple soldat et lui demande de se faire hara-kiri pour racheter son honneur selon les règles du bushido après la honte du repli. Le nouveau colonel Hasegawa qui a renoncé à aller faire ses études de médecine à Berlin pour se battre pour son pays, ordonne alors que cinquante soldats soient désignés pour un commando suicide. Les Coréens enrôlés de force font l’objet de toutes les brimades et d’humiliations de la part de quelques officiers japonais et notamment d’un certain Noda, si bien qu’ils se retrouvent nommés pour l’assaut kamikaze. Jun-Shik refuse et il est jeté au cachot avec la jeune Shirai mais à l’aube de la bataille, ils sont délivrés par les autres Coréens qui s’évadent. Au moment de fuir, cependant, Jun-Shik voit à l’horizon arriver une colonne de blindés soviétiques et il court prévenir les Japonais. Shirai le sauve du mitraillage d’un avion russe mais périt dans cet acte héroïque. La bataille fait rage et Tatsuo Hasegawa demande aux soldats de l’Empire de ne pas reculer : « Un soldat impérial ne renonce jamais, on ne tourne pas le dos à l’ennemi ». Devant les vagues successives des chars, les Japonais cependant perdent la bataille.
En février 1940, Jun-Shik se retrouve avec le colonel Hasegawa et des prisonniers japonais dans le camp de Kungursk près de Perm où règne un froid polaire et des conditions de vie effroyables. Il retrouve ses compatriotes évadés et notamment son ami Lee Jong-Dae qui, sous le nom d’Anton, est devenu un kapo autoritaire et (apparemment) converti au communisme. Celui qui était amoureux de Eun-Su, la sœur de Jun-Shik, se déchaîne sur Noda et sur tous ceux qui humiliaient les Coréens et il n’hésite pas à livrer son ami Chun-Bok arrêté pour vol de nourriture dans le camp et pendu. « Je ne suis plus un humain ! » dit Jong-Dae au grand désespoir de Jun-Shik qui s’est battu avec le colonel Hasegawa pour avoir refusé d’honorer le Japon. Au cours de la bagarre, le Coréen a pris le dessus sur le Japonais mais a refusé de le tuer. Lors d’une nouvelle dispute entre les prisonniers, Jong-Dae provoque la mort accidentelle de l’aide de camp du colonel, déclenchant une bagarre généralisée parmi les prisonniers. Les Soviétiques, pour mater la rébellion, s’apprêtent à fusiller les principaux agitateurs. Tatsuo, Jun-Shik sont déjà attachés au poteau d’exécution quand un officier russe vient annoncer que l’Allemagne a déclaré la guerre à l’Union Soviétique. Les prisonniers sont enrôlés de force dans l’Armée rouge. Ceux qui hésitent sont passés par les armes.
En décembre 1941, ces rescapés du goulag sont amenés sur le champ de bataille de Dedovsk en URSS et sont envoyés à l’assaut avec le même fanatisme qu’à la bataille russo-japonaise précédente. Tatsuo se revoit dans le rôle tenu désormais par le commandant soviétique qui envoie les troupes à la mort. Beaucoup d’hommes sont tués, notamment Lee Jong-Dae mais Jun-Shik et Tatsuo en réchappent. Ils quittent le champ de bataille et, après des jours de marche dans les montagnes enneigées, ils parviennent dans un village abandonné par les combats. Mais alors que Jun-Shik est parti chercher de l’aide pour son camarade blessé, il est arrêté par les Allemands.
Trois ans plus tard, en mai 1944, on retrouve Tatsuo Hasegawa, en uniforme allemand, sur un camion en route vers la Normandie. Les hommes parlent d’un endroit tranquille puisqu’il est question d’une attaque dans le Pas-de-Calais et de possibilités d’évasion. Un certain nombre de soldats étrangers de cette unité semblent avoir été enrôlés malgré eux. Tatsuo lui-même a un plan pour rejoindre Cherbourg et prendre un bateau pour l’Asie. Sur les plages de Normandie, il retrouve Jun-Shik et lui fait part de ses projets. Mais le jour prévu pour le départ, les Américains débarquent. Jun-Shik et Tatsuo s’apprêtent à courir la course de leur vie pour échapper aux balles mais Jun-Shik est blessé à mort. Il donne sa plaque à Tatsuo pour que les Américains ne découvrent pas qu’il est japonais. Le film se termine comme il avait commencé par la victoire de Jun-Shik Kim au marathon de Londres en 1948. Mais entre les deux images, on a compris de qui il s’agissait.
Comme le dit la première image du film, cette histoire est inspirée d’un fait réel et d’une simple photographie conservée aux Archives Nationales des Etats-Unis qui a refait surface, un jour, sur un site internet spécialisé dans la Seconde Guerre Mondiale. On y voit un petit homme d’origine asiatique découvert parmi les soldats allemands fait prisonniers après le débarquement d’Utah Beach en Normandie au terme d’un périple de 12.000 km. Malgré la barrière de la langue, on finit par comprendre l’histoire de ce soldat. Il s’appelle Yang Kyung-Jong. Il est né le 3 mars 1920 en Corée et a été enrôlé dans l’armée japonaise du Kwantung en 1938. Capturé d’abord par les Soviétiques à Nomonhan puis par les Allemands en Ukraine en 1943, il s’est retrouvé à Utah Beach lors du débarquement du 6 juin 1944. Selon l’historien Stephen Ambrose, quatre Coréens se seraient trouvés ce jour-là sous l’uniforme allemand. Libéré d’un camp de prisonniers de guerre en Angleterre en mai 1945, Yang Kyung-Jong émigrera aux Etats-Unis où il mourra en 1992 sans avoir jamais raconté sa vie, pas même à ses enfants. Son histoire sera pourtant révélée le 6 décembre 2002 dans le journal Weekly Korean puis dans un documentaire à la télévision coréenne en 2008 avant que le réalisateur Kang Je-Kyu en fasse ce film en 2011. Cette histoire d’ailleurs n’est pas sans rappeler celle de Slawomir Rawicz qui prétendait avoir fui un goulag de Sibérie pour rejoindre l’Inde à pied. Cette longue évasion devint un succès littéraire qui se vendit à plus de 500.000 exemplaires et fut traduit dans vingt-cinq langues avant d’être adapté au cinéma par Peter Weir sous le titre des Chemins de la liberté (The Way Back, 2010).
Cette référence historique constitue le premier critère d’intérêt de ce film qui a le mérite de porter à la connaissance d’un vaste public le parcours hors du commun de ce soldat perdu de la Seconde Guerre Mondiale qui, pour avoir été dans un pays occupé se retrouve balloté de batailles en horreurs tel un Candide moderne. On connaissait les « malgré nous » alsaciens de la Wehrmacht, on ne mesurait pas que dans toutes les armées du conflit se trouvaient autant d’étrangers enrôlés de force. Le film nous rappelle le nationalisme virulent et volontiers suicidaires des Japonais lors de cette guerre mais nous montre aussi un aspect peut-être moins connu du public occidental : les rapports de domination et de haine entre l’occupant Japonais et la population coréenne marquée par la colonisation. La victoire d’un marathonien coréen aux Olympiades de 1936 est aussi un fait historique dont le réalisateur s’est inspiré et ce n’est donc pas un hasard qu’il ait fait de ses deux héros des coureurs de fond que le sport réunit et que la politique sépare. Leur histoire commune qui finit par se confondre est celle d’un long marathon pour la vie. Sur le plan historique évidemment, le film doit être soumis à l’évaluation des historiens qui dénicheront certainement ici ou là des erreurs ou des contre-vérités, ne serait-ce que dans la coupe de cheveux peu réglementaire de certains soldats ou la possibilité de ressortir vivant d’une pendaison dans le froid. Mais l’on sait bien que le cinéma comme le roman peut se permettre des libertés que l’on n’autorise pas au documentaire ou à l’essai historique. L’auteur a pris le parti de dédoubler ce héros nomade en deux personnages qui sont amis puis ennemis à mort avant d’être réunis dans l’amitié. On ne sait comment de telles conditions peuvent peser sur les hommes dans l’espace de cinq ans mais de ces revirements en deux heures de projection sont un peu difficile à concevoir quand on constate la violence qui oppose les protagonistes. Si Kim Jun-Shik a le beau rôle du héros qui fait preuve de dignité et de courage tout au long des épreuves, l’évolution psychologique de Tatsuo Hasegawa paraît beaucoup plus torturée. D’abord ami d’enfance et rival sportif du Coréen, le jeune Japonais va bientôt voir en lui le symbole de ceux qui ont assassiné son grand-père avant d’endosser l’uniforme et l’idéologie de l’impérialisme nippon. Tatsuo joue ce rôle jusqu’à la bataille de Dedovsk où en voyant une image de son propre fanatisme, il semble s’engager sur la voie de la rédemption qui l’amène à se rapprocher de Jun-Shik au point de s’identifier à lui à la fin. Est-ce crédible ? C’est en tout cas symbolique d’un parcours humain où l’amitié et les valeurs sportives sont censés triompher de la haine et des violences guerrières. Avec cette simplification, le film essaie aussi d’échapper aussi au manichéisme avec lequel il flirte parfois. L’arrogant Japonais finit par pactiser avec son bouc-émissaire de la veille. En contrepoint, le gentil Jong-Dae devient un tortionnaire dans le camp de Kungursk en faisant payer à Noda toutes ses vexations. Dans la succession des trois batailles opposant des ennemis différents le réalisateur souligne les ressemblances entre les commandants japonais, soviétiques et allemands bien décidés à sacrifier leurs hommes.
Mais les spectateurs de Far away ne se posent probablement pas toutes ces questions devant ce film à grand spectacle de près de deux heures. Les amateurs du genre de film de guerre en ont pour leur argent puisqu’on leur propose pas moins de trois batailles spectaculaires, la vie d’un camp et quelques marathons en bonus. On savait que le cinéma coréen n’avait plus rien à envier au cinéma hollywoodien. On en a une nouvelle preuve éclatante. Ce film est évidemment à rapprocher de Frères de sang ( 태극기 휘날리며 , : Tae-geug-ki Hwi-nal-ri-myeo) écrit et réalisé par le même réalisateur Kang Je-Gyu, sorti en 2004 et maintenant en scène le même acteur qui joue le rôle de Jun-Shik, Jang Dong-Gun.

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